Dans la série « WeCrashed », il incarne un patron de start-up qui connaît une faillite retentissante. Un rôle à sa démesure.
Figure christique et regard pénétrant, il assène devant la caméra : « En louant des bureaux, nous changerons la face du monde » – maxime ubuesque qui résume à elle seule les fantasmes des « business gurus » des années 2010. Lentilles teintées et crinière brune, Jared Leto est Adam Neumann, l’entrepreneur israélo-américain qui fit de WeWork, sa société de coworking, l’une des licornes les plus convoitées de son temps. Jusqu’à sa chute aussi précipitée que vertigineuse. Méconnaissable, le comédien fait de son personnage une montagne de charisme et de mégalomanie. « Neumann m’interpellait, dit-il. Parti de rien pour finalement bâtir un empire de 47 milliards de dollars en une poignée d’années. Neumann est un monstre d’ambitions contrariées. En tant qu’artiste, je pouvais m’identifier à ses tendances narcissiques ! [Il rit.] »
Nouvelle marotte des séries : épingler les dérives du néolibéralisme et déboulonner ses figures totémiques. Après « Severance », critique orwellienne de l’enfer du travail, et avant « The Dropout » consacré à la milliardaire escroc Elizabeth Holmes, « WeCrashed » déconstruit le mythe de la « start-up nation » et s’applique à brosser le portrait ambigu d’Adam et de son épouse Rebekah, incarnés par Jared Leto et Anne Hathaway. Leto se fond dans son rôle jusqu’à reproduire la voix de Neumann… Transformation qui n’a que peu à voir avec les artifices et les postiches : « Je suis fasciné par le mimétisme poussé à l’extrême, admet-il. Neumann et moi avons aussi des points communs : nos enfances ont été marquées par les déménagements imposés par nos parents. Je sais ce que c’est que d’être trimballé, d’avoir besoin de rêver et de voir grand. »
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Le besoin de me dépasser est constitutif, quitte à frôler le point de non-retour
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Passé maître dans l’art de la métamorphose, Leto interprétait, planqué derrière des couches de latex, Paolo dans « House of Gucci ». Plus tôt dans sa carrière, il s’est appliqué à des rôles borderline, parfois casse-gueule. Junkie en perdition dans « Requiem for a Dream », de Darren Aronofsky, Leto obtient l’Oscar du meilleur second rôle en 2014 en incarnant dans « Dallas Buyers Club » un transgenre atteint du sida. Des partitions hors normes qui ne font pas toujours l’unanimité, comme sa prestation boudée du Joker dans « Suicide Squad » . « J’aime la prise de risque, confirme-t-il. C’est même ma raison de vivre. Que je sois devant une caméra, sur scène avec mon groupe de rock [Thirty Seconds to Mars] ou occupé à faire de l’escalade, c’est une discipline que je m’impose. Le besoin de me dépasser est constitutif, quitte à frôler le point de non-retour. Mais j’ai eu beaucoup de chance ces dernières années en tant qu’acteur, mon travail a fait mouche. »
Et si, finalement, la liberté d’agir était la vraie motivation de ce jeune homme de 50 ans , qui s’apprête à incarner un vampire (« Morbius ») pour la franchise Marvel ? « Je veux être qui je suis et faire comme bon me semble en dépit des diktats, des certitudes et de l’opinion ambiantes, conclut-il. À une époque où certains croient encore à la domination par la force, j’y mets un point d’honneur. »
Apple TV+, à partir du 18 mars.
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